À deux, c’est mieux

Contribution externe de Guillaume. (@bibliodecker pour l'insulter de votre nuit d'insomnie à avoir lu)

T'es encore là ? Pourquoi t'es pas en train de lire Un feu sur l'abîme ? Ah, je vois. T'es un de ces gros nazes qui ne lisent que de la littérature blanche. En 2018. Oui, je te juge.

Mais comme je suis un mec sympa, je vais quand même te parler d'un bouquin qui te conviendra (OU SINON). Enfin quand je dis un, tu en liras peut-être trois, mais ce sera pour ton bien, et seulement si tu as aimé le premier, que tu auras lu d'abord, parce qu'on fait ça dans l'ordre, en Suisse. Ben oui, en Suisse. Je vais te parler de littérature suisse, parce que c'est cool. Si.

Or, donc, l'auteure Ágota Kristóf (aucun lien avec Agatha Christie) est née en 1935 à Csikvánd et... Quoi encore ? OK, taggle, t'es lourd-e, (TonPrénom). Non, Csikvánd n'est pas en Argovie, c'est en Hongrie. Oui, j'ai dit que c'était de la littérature suisse, et tu sauras bientôt pourquoi alors quèche tè batoille comme on dit dans le canton de Vaud.

Bon, en 1956, elle quitte la Hongrie parce que saylamayrde, et elle se réfugie à Neuchâtel, parce qu'elle aime le brouillard qui est une ville magnifique. Peut-être même qu’on t’en parlera dans la rubrique Bruxelles, parce que la Suisse romande, c’est un peu le Très Grand Bruxelles (non). Mais bref, comme elle a refait sa vie ici, appris la langue, et écrit en français, c’est de la littérature suisse, alors lâche-moi avec ça.

Le grand cahier, c’est son premier roman, publié 30 ans après son arrivée en Suisse. C’est surtout une claque qui va le mettre au programme de nombreux lycées francophones, où il a au passage causé une polémique (il contient des thèmes à ne pas traiter à la légère avec des mineurs) et qui a apparemment influencé jusqu’à un jeu vidéo japonais mythique (Mother 3 – merci Wikipedia), auquel je n’ai pas encore joué. Du coup, c’est peut-être moi le naze.

Comme son titre l’indique, son contenu est celui d’un grand cahier, celui rempli par des jumeaux d’une dizaine d’années dans un pays en guerre. Les jumeaux sont unis contre le reste du monde – on est toujours plus fort à deux – et se soumettent à des épreuves pour s’endurcir. Tout ce qui les entoure est atroce, et ils font leur cette atrocité.

Le livre est découpé en chapitres minuscules, d’une à trois pages à chaque fois : des « compositions » scolaires. C’est pratique, parce que tu peux t’arrêter quand tu veux ; mais pour ma part, je n’arrive pas à m’arrêter avant de l’avoir intégralement terminé. L’expression est simple, et les phrases taillées à la serpe, factuelles, inhumaines. L’un des chapitres explique même comment le fameux grand cahier a été rempli.

Pour décider si c’est « Bien » ou « Pas bien », nous avons une règle très simple : la composition doit être vraie. Nous devons écrire ce qui est, ce que nous voyons, ce que nous entendons, ce que nous faisons. […]

Nous écrirons : « Nous mangeons beaucoup de noix », et non pas : « Nous aimons les noix », car le mot « aimer » n’est pas un mot sûr, il manque de précision et d’objectivité. […]

Les mots qui définissent les sentiments sont très vagues ; il vaut mieux éviter leur emploi et s’en tenir à la description des objets, des êtres humains et de soi-même, c’est-à-dire à la description fidèle des faits.

Ce roman est puissant en lui-même. Direct. Pourtant, comme je l’ai subtilement indiqué plus haut, deux autres romans viennent non pas le compléter, mais lui donner des éclairages successifs qui le rendent encore plus marquant. Relire Le grand cahier après avoir lu La preuve et Le troisième mensonge, c’est réinterpréter chaque scène, chaque phrase, chaque mot.

Alors je vais être clair : ce n’est pas un livre feel-good, et les suivants sont sans doute pires. J’aime aussi les bouquins qui font rire, mais celui-ci n’entre pas dans cette catégorie. En revanche, tu le liras vite, et tu mourras un peu moins naze.

Tu pourras aussi peut-être t’intéresser à son auteure, dont le rapport à la langue et à l’exil l’a poussée à cesser d’écrire (au moins des romans, et au moins en français) en 2006. Elle est décédée en 2011, avec au final une production restreinte mais marquante.

Lis ce bouquin, et les autres si le premier te plaît. Si tu ne le fais pas, je ne vais pas t’engueuler, mais pire : je serai déçu. Je préfère ne pas savoir que tu vas rester définitivement une bande de nazes à toi tout seul.

Le grand cahier / Agota Kristof. – Paris : Seuil, 1986. – ISBN 2-02-009079-1.

Disponible en poche, collection Points, ISBN 978-2-02-023926-4.

#HNTBUGBDN: Je crois qu'il te suffit juste d'écouter le monsieur et d'appliquer le conseil (en tout cas moi c'est ce que je vais faire)